*Le Temps* : Politique : L’ANC peut-elle de se remettre en selle ?
Un message corrosif de neufs militants d’une des fédérations de la diaspora ANC nous a amené à des échanges avec certains cadres. Voici notre analyse de la situation.
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Entre une fronde d’une partie de sa base militante dans la diaspora, une cuisante défaite électorale, l’évanescence de la base électorale, le désamour de l’opinion, la perte de la vocation chez les militants, l’assèchement de ses sources de financement et les dysfonctionnements internes, un bureau politique national vieillissant, l’ANC est-il en mesure de se remettre de ses échecs pour constituer une force d’alternative crédible au pouvoir de Faure Gnassingbe ?
L’Alliance nationale pour le changement est-elle finie, pour parler le même langage que l’écrivain Ahmadou Kourouma, à propos de la mort ? Difficile de jouer aux Cassandre. Mais on peut le craindre au vu des derniers développements du parti qui essaie de se ranger à une vie démocratique qui n’en est pas vraiment.
Né du schisme de l’UFC en 2010 et reprenant en son compte l’idéologie et le fonds de commerce de ce parti- ses assises administrative et populaire-, l’ANC était considérée comme le plus grand parti de l’opposition togolaise. Malgré le caractère controversé des scrutins au Togo, les résultats des législatives de juillet 2013 confirmèrent cette position, 19 sièges sur 91, loin derrière le pouvoir, 62 sièges. On note toutefois, que le parti remplaçant l’UFC, devenu l’allié du pouvoir, perds quelques sièges comparativement aux législatives de 2007. De juillet 2013 à février 2020, le parti perd deux élections présidentielles, des élections locales de 2019, et boycotte les élections législatives de 2018.
Mais la déroute électorale à la présidentielle de février 2020 aura mis le marqueur sur le déclin abyssal du parti dans l’opinion et révéler aux dirigeants, s’ils sont conséquents avec eux-mêmes, que le parti dérive inexorablement sur une pente déclive.
Jean-Pierre Fabre, le président du parti, est battu à plate couture, jusque dans son propre fief de Kodjoviakope, à la faveur d’un candidat bardé pourtant de casseroles et sur lequel il y a quelques mois, nul n’oserait miser un kopeck.
Sonné, le parti croit avoir fait son bilan et réinitialiser la machine à travers un Conseil national en octobre 2020, avec de nouvelles orientations et surtout la réaffirmation de la ligne politique qui rejette la politique de la chaise vide et partant du boycott des élections.
C’est peine perdue. Le parti est régulièrement daubé sur les réseaux sociaux, et Jean-Pierre Fabre passe pour être la tête de turc, bouc-émissaire idéal responsable de tous les échecs de l’opposition.
Dans ces conditions, le message épistolaire corrosif de neuf membres de la Fédération Europe-Asie, présentant le parti comme réfractaire à la démocratie interne et demandant des réformes démocratiques, semble être la goutte d’eau débordant un vase glauque.
Même si en dépit de leurs bonnes intentions, la lettre des 9 aggrave plus la situation du parti en le fragilisant surtout devant le parti au pouvoir, il importe de faire une radioscopie du parti, d’établir les maux et d’y voir quelles solutions on pourrait y apporter.
Quels sont les problèmes de l’ANC ?
«Rien n’est plus facile à conserver que le Pouvoir…», aurait dit un jour J-J. Rawlings, expliquant combien il aurait pu facilement s’éterniser à la tête du Ghana… s’il l’avait voulu. Le cas du similaire Paul Kagamé lui donnerait raison. Sans parler des actuels Togo, Congo, Cameroun, Birmanie, Corée du Nord… ni des innombrables exemples historiques d’autocraties pluriséculaires, voire millénaires : l’Egypte ancienne !
De fait, à ceux qui le détiennent, même sans légitimité, le Pouvoir confère un énorme avantage pour s’y maintenir et s’y succéder à eux-mêmes. Déjà la simple vie quotidienne et le temps passant conspirent à « banaliser » les pires « anomalies » et à leur conférer la familiarité d’un état-des-choses. Alors d’autant plus, si les détenteurs du Pouvoir emploient pour le confisquer, toutes les ressources à leur disposition : police, armée, finances, diplomatie, force, ruse… Aussi loin donc qu’on regarde, la facile conservation de l’existant est la règle, le supplanter par la nouveauté est l’exception.
C’est dire combien dérisoire il est, de minorer ces viscosités systémiques pour faire porter au fétu de paille ANC toute la responsabilité d’une situation qui la dépasse et… l’englobe.
Une fois posé ce problème universel du combat difficilement gagnable combat du Différent contre le Même, on peut regarder plus en détail comment il se pose plus particulièrement.
L’ANC est un « parti d’héritiers » ; plus précisément, « un parti d’héritiers d’héritiers ». C’est le cas de La Ligue nationale pour la Démocratie d’Aung San Su Kyi en Birmanie, du Parti du Peuple Pakistanais de Benazir Buto, etc. Ces partis tirent leur légitimité du passé de ces spécifiques historiques de pères fondateurs qui ont laissé leurs traces dans l’histoire.
Si Gilchrist Olympio n’avait existé, le peuple togolais l’aurait inventé. Les tenants du pouvoir actuel sont considérés comme des usurpateurs voire les responsables de l’histoire interrompue des indépendances. Alors, ces partis d’héritiers s’inscrivent dans un registre de revanche voire de vengeance, occultant ainsi certains aspects de la politique telle qu’elle devrait se faire normalement dans le cadre d’un projet, d’un programme. Comme dans les vieux films de vengeance de Charles Bronson, le narratif sommaire de la vengeance est à ce point dominant qu’il éclipse toute autre considération.
Le parti est accusé de déficit de démocratie interne, de refus de débat. Ce que nient les militants que nous avons rencontrés. Le parti se réunit chaque fois lundi au siège et les débats sont très ouverts, nous disent les militants. En réalité, la composition sociologique du parti – la plupart des membres historiques étant issus de la vieille bourgeoisie Ewe-anlo, guin, afro-brésilienne et métis de la côte – constituerait plutôt un entre soi rédhibitoire à un vrai débat démocratique.
L’absence de débat est aussi culturelle. L’arbre à palabre présenté généralement comme caractéristique d’une société démocratique en Afrique, est en réalité un trompe-l’œil. En réalité, les Africains débattent très peu, surtout pas en famille où s’imposent le droit d’aînesse.
Cependant, il faut noter que dans un parti d’incarnation (incarnation par Gilchrist, puis par Fabre…), comme partout ailleurs où le leader est quasi élevé sur un tel piédestal, il y a une tendance à la minoration de la démocratie interne au parti. Une négligence du débat en interne qui entraîne la minoration de la composante programmatique ; à part une brumeuse composante indépendantiste, ni l’UFC, ni l’ANC n’ont élaboré et diffusé un programme clair au travers duquel les Togolais auraient pu entr’apercevoir un avenir désirable.
Comme le soulignent les 9 signataires, il y a un divorce évident entre l’ANC et les masses populaires. L’interminable litanie des défaites, des volte-face… dont les incohérences et le coût narcissique la rendent difficile littéralement à suivre.
Ces décennies de défaites, d’humiliation, de danse-du-ventre ont fini par rendre l’UFC/ANC difficile à suivre. Littéralement. La plus vertueuse des épouses ne pourrait rester fidèle à tel impuissant « looser » ; de désir, d’envie, de raison, elle se laissera tenter par l’aventure proposée par le premier macho un peu beau parleur…
C’est ce qu’il s’est passé avec la surprise d’Agbeyome Kodjo.
C’est connu : « Les histoires d’amour, finissent mal… en général ». Ainsi, les grandes histoires d’amour politiques finissent généralement en d’amères fâcheries… surtout si elles sont émaillées de déceptions ; si le Prince-Charmant se révèle un crapaud.
Ligne politique illisible
Même au sortir du Conseil national d’octobre 2020, la ligne du parti est encore plus illisible que par le passé. Au lieu de faire le bilan, le parti s’est contenté de faire des réformettes et de conserver l’état des choses actuel.
Si le rejet du boycott électoral est désormais réaffirmé comme ligne directrice du parti en matière électorale, cette position fait désormais sourire face à l’absence de logistique et de ressources qui font de la participation une logique de parvenir au pouvoir.
Dans aucun passage du Conseil national, il n’est fait référence à la France, dont la main ne peut être totalement occultée dans les rapports de force sur le terrain. On sent évidemment, la peur de cette confrontation avec la France, en tout aucun effort pour aborder cette question, ne serait-ce que dans l’optique de lui apporter une solution. Au regard des enjeux géopolitiques dans la sous-région, avec la question du terrorisme aux portes du pays, l’implication des puissances américaines et européennes dans la résolution de ces défis, ignorer de tutoyer un tel sujet pourrait relever de l’inconséquence. A moins que l’ANC, en tout cas c’est ce qu’il paraît, rêve d’une dévolution du pouvoir par la France. On sait que le parti a changé d’orientation idéologique à l’arrivée de François Hollande, passant du libéralisme qui fut la ligne de l’UFC au socialisme de marché du PS.
Le parti n’a pas su poser non plus poser le gros problème de succession et de réformes du parti. Cinq vice-présidents, la plupart ayant plus de 50 ans, un président de jeunesse dépassant plus de 50 ans, une base militante reposant sur les descendants des pères de l’indépendance, et qui a tendance à se comporter comme si le Togo lui appartenait, structurellement le parti est bâti pour fonctionner comme un canard boiteux. Aucun dynamisme.
La division du travail entre la diaspora togolaise et le parti est aussi quelque peu handicapante. Selon certaines sources, le financement des actions politiques est laissé à la diaspora, et l’action stratégique et tactique sur le terrain est laissée à l’ANC. Plus acculturés au jeu démocratique, par la force des choses, les militants politiques de la diaspora togolaise ont, assez sagement, intégré le fait que les réalités pouvaient différer des réalités qu’ils vivent dans leurs pays de résidence.
Mais cette situation a fini par créer des malentendus entre le parti et sa diaspora. Les cadres de l’ANC refusant d’écouter les propositions de la diaspora, notamment ces principaux bailleurs, en ce qui concerne la stratégie sur le terrain. En se cantonnant à son unique rôle de financement, la diaspora a réduit ses marges de manœuvres en matière de stratégie.
Renaître de ses cendres ?
Reçu à l’émission …de Radio Victoire, Jean-Pierre Fabre au lieu de faire amende honorable trouve une victime expiatoire des déboires de l’ANC : Mgr Philippe Fanoko Kpodzro. Si l’archevêque émérite a naïvement contribué à rabaisser l’opposition traditionnelle, sur le plan éthique, en portant au pinacle un ancien baron du régime, et liquéfiant au passage l’ANC par ses diatribes, il n’en demeure pas moins que la désaffection pour le parti date de l’échec de la présidentielle de 2015.
Cette sortie sur Radio Victoire est la preuve que le parti ignore ou est insensible au désamour des masses.
Et pourtant… Difficile : l’attachement est comme une relation amoureuse… au fil des déceptions, arrive un moment où les amoureux se surprennent de l’érosion des sentiments et de l’indifférence qui finit par s’installer entre eux ; quelque chose qu’ils n’auraient jamais cru possible. Ne pas sous-estimer plus que le désamour (lequel est encore une passion même haineuse), l’indifférence qui s’est installée entre beaucoup de Togolais et l’ANC… Quand on se voit avaler par les sables-mouvants, mieux vaut s’abstenir de toute agitation.
Cependant, on aurait tort d’identifier le naufrage de l’ANC à celui de J-P. Fabre. Si M. Fabre incarne bien ce naufrage au plus haut point, il suffirait qu’une Isabelle Ameganvi ou l’un des apparatchiks qui le secondaient prennent le pouvoir pour qu’on s’aperçoive que Fabre est paradoxalement celui qui y surnage le mieux !
Faute de l’avoir fait fructifier l’UFC/ANC a dilapidé son héritage. N’est pas Sylvanus Olympio qui veut ! Sylvanus fut un grand travailleur ! Il n’avait pas fait que promettre l’indépendance aux Togolais, il la leur a apportée ; il leur a aussi promis la prospérité, il a au moins essayé de s’en donner les moyens, notamment monétaires.
A contrario, l’UFC puis l’ANC se sont cantonnées à la sphère politico-politicienne, voire électorale, sans produire des idées claires et entraînantes sur les choix économiques, sociaux, sociétaux… Pour le moment on se contente du minimum : cultiver les passions tristes en montrant les malversations, les crimes économiques et politiques du régime.
Or s’il faut bien dénoncer ces crimes, peu sont les Togolais qui les ignorent… y compris ceux qui les commettent et leurs affidés. Au-delà de dénoncer un présent insupportable, il faut projeter un futur désirable.
L’ANC est engluée dans un no-man’s-land indécis et indécidable… se voulant à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du jeu politicien ; une force de rupture d’avec…Lire la suite sur Le Temps